Baleines crypto : y a-t-il un risque de concentration ?

À l’origine, la structure de propriété du Bitcoin, pionnier en matière de cryptomonnaies, était particulièrement concentrée en raison de sa création par un ou des individu(s). Bien que cette structure ait gagné en diversité au fil des années, un certain nombre de grands détenteurs, connus sous le nom de baleines, possèdent une part significative de l’offre en circulation.

La présence de ces baleines implique un risque de concentration et suscite des inquiétudes quant à leur capacité à manipuler les marchés. En effet, les transactions menées par ces acteurs peuvent avoir une influence réelle sur l’évolution des prix. Ceci étant, constituent-ils une menace pour l’efficacité du Bitcoin ? Les données nous livrent-elles une version plus nuancée ?

L’origine de la répartition des avoirs en Bitcoin remonte au 3 janvier 2009, lorsque Satoshi Nakamoto, pseudonyme du ou des mystérieux fondateur(s), a traité le premier lot de transactions, connu sous le nom de bloc de genèse. Ce processus a pris sept jours alors que le bloc ne contenait qu’une seule transaction, le transfert de 50 BTC en récompense vers un portefeuille excluant toute possibilité de récupération (Satoshi Nakamoto n’en a jamais partagé la raison). Alors que ces coins n’avaient aucune valeur à l’époque, ils valent aujourd’hui 1,368 million de dollars.

Le minage est le terme utilisé pour décrire le traitement des transactions Bitcoin. Ce processus consiste à résoudre une énigme mathématique complexe en échange d’une récompense. Ainsi, les mineurs ont été parmi les premiers possesseurs de cette nouvelle forme de richesse numérique. Initialement, la récompense était de 50 BTC, mais elle a depuis diminué en raison d’un mécanisme connu sous le nom de « halving » conçu pour contrôler la quantité de coins entrant en circulation. Aujourd’hui, la récompense s’élève à 6,25 BTC, le prochain halving étant prévu pour 2024 et le dernier pour 2140.

L’une des transactions de Bitcoin les plus notoires a eu lieu en mai 2010, lorsque Laszlo Hanyecz, un développeur de Floride, a déboursé 10 000 BTC pour s’acheter deux pizzas d’une valeur de 25 dollars. Tandis qu’un taux de change formel avait été établi plus tôt dans l’année, cet achat impliquait une valeur de seulement 0,0025 dollar par Bitcoin. Ce pauvre M. Hanyecz doit avoir de profonds regrets en voyant que 10 000 BTC valent aujourd’hui plus de 273,7 millions de dollars. Depuis, chaque année, la communauté crypto célèbre le Bitcoin Pizza Day.

Une baleine est un individu ou une entité qui détient une grande quantité de crypto-actifs. En raison des fortes différences de capitalisation boursière des différents coins, la taille de ces avoirs varie. Ceci étant, elle reste suffisamment importante pour avoir une incidence sur le prix en cas de transaction. Ainsi, pour être qualifié de baleine Bitcoin (capitalisation boursière de 535,825 milliards de dollars au 10/10/2023), il faut que les actifs détenus soient supérieurs à ceux d’une baleine Polygon (capitalisation boursière de 4,866 milliards de dollars au 10/10/2023).

Même au sein d’un même crypto-actif, il n’existe pas de définition universellement reconnue de ce qui constitue une baleine. Ceci étant, et pour donner un ordre de grandeur, le fournisseur de données blockchain Glassnode estime qu’il faut détenir entre 1 000 et 5 000 coins pour se voir attribuer le statut de baleine Bitcoin. Au-delà de 5 000 coins, le détenteur est considéré comme une baleine à bosse.

• Des individus - L’une des plus grandes baleines crypto n’est autre que Satoshi Nakamoto qui détient un million de Bitcoins, un avoir resté stable depuis que Satoshi a quitté la scène en 2010. Parmi les autres baleines notoires figurent Michael Saylor (avec plus de 17 000 BTC), fondateur du logiciel de Business Intelligence MicroStrategy, et les jumeaux Winklevoss (avec environ 70 000 BTC), fondateurs de l’exchange Gemini.

• Des sociétés - Au rang des entreprises, les exchanges comptent parmi les baleines les plus importantes. Binance possède quasiment 250 000 BTC, tandis que Coinbase en détient 2 millions. MicroStrategy est en possession de 14 000 BTC, indépendamment des avoirs de son fondateur.

• Des gouvernements - Le gouvernement des États-Unis détient 205 000 BTC qu’il a confisqués à diverses organisations criminelles telles que le marché noir de la Route de la soie. Quant au gouvernement du Salvador, où le Bitcoin a cours légal, il possède plus de 2 500 BTC (selon Bloomberg).`

Les baleines sont des acteurs importants de l’écosystème crypto en raison de leur grande influence sur les marchés. À court terme, l’offre et la demande déterminent cette influence. Si une baleine vend une grande quantité de crypto-actifs, cela est susceptible d’entraîner une baisse du prix de l’actif, et inversement. En conséquence, l’activité des baleines peut indiquer un changement dans le cycle du marché, comme une vente importante conduisant à un marché baissier. L’effet de l’offre et de la demande est encore plus prononcé dans le cas de coins à la liquidité plus faible ou à la capitalisation inférieure.

Tandis que la plupart des baleines ont des raisons légitimes de renforcer leurs avoirs, la présence d’acteurs majeurs augmente le risque de manipulation du marché par des participants mal intentionnés.

Parmi les méthodes courantes de manipulation, on retrouve le « sell wall » ou mur de vente. Il s’agit d’une situation où une baleine passe un ordre représentant un volume important de transactions, et cela bien en dessous du prix actuel du marché. Cela oblige les autres participants à baisser leur prix de vente. Lorsque celui-ci baisse suffisamment, la baleine supprime l’ordre de vente et achète la cryptomonnaie à prix réduit. Le contraire d’un mur de vente est un « buy wall » ou mur d’achat.

Bien entendu, l’une des principales priorités des organismes de régulation du système financier traditionnel est d’éviter les manipulations. Une surveillance plus étroite des marchés de crypto-actifs devrait donc réduire ce risque.

L’un des principaux avantages de la technologie blockchain est la transparence. En effet, une blockchain est un registre public permettant à chacun de consulter l’historique de chaque transaction effectuée. Outre l’immuabilité de ses données (les registres sont quasiment impossibles à falsifier une fois traités), cette fonctionnalité favorise la confiance au sein du réseau.

La transparence facilite le suivi des portefeuilles individuels. L’un des moyens les plus simples d’assurer un suivi de l’activité consiste à recourir à un explorateur de blockchain comme blockchain.com pour Bitcoin et Etherscan pour Ethereum. Un explorateur de blocs est un moteur de recherche qui analyse des données de la blockchain en vue d’obtenir des informations sur des transactions, des adresses de portefeuille et des données chiffrées telles que les frais. Pour suivre un portefeuille, il suffit de saisir son adresse dans un explorateur.

Connaître le portefeuille de destination peut en dire long sur l’incidence potentielle sur le marché. Voici un exemple :

Un transfert d’avoirs d’un portefeuille vers un exchange laisse à penser que la baleine souhaite vendre, ce qui pourrait entraîner une baisse des prix.

A contrario, un transfert d’un exchange vers un portefeuille implique que la baleine envisage de conserver ses actifs.

Bien que la recherche d’adresses de portefeuilles individuels nécessite une expertise dans l’analyse de la blockchain, des sites Internet tels que BitInfoCharts publient des listes des plus grands portefeuilles en matière d’avoirs Bitcoin, ainsi que d’autres données chiffrées comme le pourcentage total de l’offre en circulation et la dernière transaction en date. Par ailleurs, BitInfoCharts étiquette les portefeuilles dont le propriétaire est connu.

Comme le montre ce graphique, les avoirs des baleines ont régulièrement diminué depuis le pic de 2011, lorsqu’elles détenaient 76 % de l’offre globale. Il peut y avoir plusieurs raisons à cela :

• Un élargissement de la répartition : les baleines partagent leurs avoirs entre différents participants (réduisant ainsi le risque de manipulation du marché).

• Une opportunité de profiter d’une liquidité supérieure grâce à une structure de marché crypto de plus en plus développée.

• Une demande croissante en provenance d’investisseurs individuels.

• L’évolution de l’environnement réglementaire obligeant les baleines à céder certaines de leurs positions.

• Un changement de stratégie d’investissement conduisant les baleines à réduire leurs avoirs en crypto-actifs.

• Des facteurs externes tels que des événements géopolitiques ou macroéconomiques ayant une incidence sur la propension au risque des baleines.

Alors que cette tendance laisse supposer que le risque de concentration est en baisse, cette situation pourrait s’inverser à mesure que la demande augmente parmi les investisseurs institutionnels, en particulier si la Securities and Exchange Commission des États-Unis approuve les demandes d’ETF Bitcoin au comptant émanant d’importantes institutions financières telles que BlackRock. Le marché a connu une telle incidence en 2020 et 2021 lorsque les avoirs des baleines ont augmenté pour la première fois depuis 2016, au cœur de la première vague d’adoption par des investisseurs institutionnels.

La distribution du Bitcoin est montée en flèche depuis son lancement en 2009, la capitalisation boursière de la cryptomonnaie d’origine atteignant à elle seule 535,825 milliards de dollars. Cependant, certains craignent que la concentration de cette richesse entre les mains d’un nombre relativement restreint de détenteurs, appelés baleines, puisse avoir une incidence négative sur le secteur en le rendant vulnérable à d’éventuelles manipulations du marché.

Les recherches menées par le fournisseur de données blockchain Glassnode suggèrent que le risque de concentration est en baisse, car l’offre globale détenue par les baleines diminue régulièrement depuis 2011. Cependant, cette tendance pourrait s’inverser avec une plus grande adoption institutionnelle, en particulier si des ETF Bitcoin au comptant font leur entrée sur le marché.

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